Paris va accueillir l’exposition Rock’n’roll’s NOT DEAD qui mêle le rock et l’art. Greg M, un dessinateur contemporain, l’un des 3 artistes qui expose du 23 février au 1er mars au Point Ephémère a accepté de répondre à nos questions.
Après avoir fait ses études à l’école de dessin Emile Cohl en 2001, Greg M devient illustrateur pour enfants.
En 2013, il change de pseudo et prend une direction artistique radicalement plus sombre. « Bad drawings for bad people » annonce l’artiste sur son site : le ton est donné. Découvrez qui se cache derrière cet illustrateur freelance au monde étrange et à l’humour noir, dont les personnages sont écorchés.
Creads : Salut Greg M, ravi de t’accueillir sur le blog. Peux-tu nous en dire plus sur l’expo ?
Greg M : L’expo s’intitule « Rock’n’Roll’s not dead« , du nom du collectif qui organise ce beau projet. Nous sommes 3 artistes, JB Hanak, Stigmate Noir, et moi-même à exposer.
Dans chacun de nos univers il y a une connexion indéniable à la musique. On la retrouve dans mon travail à travers les thèmes abordés, les portraits d’icônes du Rock, mais aussi dans une certaine tonalité que je cherche dans mes créations. Je ne bosse qu’en noir et blanc, sur divers supports toujours avec une économie de moyens. Si on pousse un peu je dirais que ça sonne comme du garage/blues minimaliste, une musique un peu sourde et bien dark.
Nos trois univers assez différents vont donc croiser le fer. Il va y avoir pas mal de choses à voir, des très grands et des tous petits formats. Et si vous venez pour le vernissage, mardi à 18H30, DJ Leax va passer des disques bien râpeux comme on aime… et y’a de la bière gratuite. Rien que pour ça, moi j’irais!
Pendant 10 ans, tu as illustré des livres pour enfants. En 2013 c’est la rupture. Pourquoi ?
Greg M : J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler pour l’illustration jeunesse, mais comme toujours dans la vie, on se lasse. Au bout d’un moment tu acquières des tics dans ton language graphique, et tu finis par toujours faire la même chose, donc ça devient ennuyeux. Et puis dans le dessin pour enfants tu dois toujours tout lisser, avoir des couleurs chatoyantes, c’est mignon, c’est joli…
Attention je ne dis pas que l’illustration jeunesse ce n’est que ça, pleins d’illustrateurs ne prennent pas cette voie là, mais disons que moi je l’ai prise et les éditeurs m’appelaient pour ça. Donc au bout d’un moment je ne me suis plus reconnu dans ce style graphique devenu trop stéréotypé.
Le fait de changer de direction m’a vraiment redonné goût au dessin. J’ai pû traiter les choses de manière beaucoup plus libre. Tu vois quand l’éditeur me rappelait parcequ’il fallait rendre le nez du personnage plus rond, plus mignon ? Eh ben maintenant je mets des grands coups de cutter dans le nez de mes persos, et y’a personne pour moufter !
C’est donc sans doute en réaction à ces années que mes persos sont souvent écorchés, maladifs. Mais il y a aussi une dose d’humour, noir, je ne prends pas tout ça tant au sérieux. C’est un peu une posture adolescente, je me rebelle tout seul dans ma chambre. Un peu comme le rock finalement.
Peux-tu choisir 2 oeuvres majeures dans ton travail et expliquer ta démarche à nos lecteurs ?
No father, no mother
C’est un grand format, au crayon et à l’acrylique, qui traite de la famille. Ou plutôt du sentiment de solitude qu’on peux ressentir au sein de sa famille. Les figures paternelles et maternelles sont presque des spectres. Le seul visage réaliste est celui de l’enfant car c’est celui auquel je voudrais qu’on s’identifie, celui qui est seul et résigné. C’est un sentiment que j’ai pas mal ressenti étant enfant, cette isolement au sein d’une cellule familiale présente, aimante, avec tout ce qu’il faut. Tout le décorum autour, la pose des personnages, c’est pour montrer justement ce beau « paraître ». Mais pour l’être sensible c’est l’isolement. Je parle bien d’un sentiment intérieur là, c’est un bruit sourd, un caillou noir qu’on porte au fond de soi.
Don’t believe in human being
C’est un mix entre collage et carte à gratter que j’ai fait à l’annonce de la Cop 21. Je suis toujours stupéfait de la connerie humaine, notre capacité à nous détruire est géniale. Probablement proportionnelle à notre capacité à s’en foutre. Le point de vue est de considérer l’humain plutôt comme un parasite, une bactérie exponentielle qui finira par tout détruire. Je suis parti d’un livre sur les effets des radiations nucléaires pour créer la tête du personnage. Son regard est résigné, comme nous tous. Les mots qui l’habille sont tous les principes, les leurres, derrière lesquels il se cache pour ne rien changer. En gros: on sait bien qu’on fonce dans le mur, mais on y va! Et plutôt résignés que dans la joie.
Pour toi c’est quoi un dessinateur contemporain ?
Greg M : Alors par rapport à l’illustrateur c’est déjà quelqu’un qui crée un dessin qui se suffit à lui-même, dans le sens où il n’est pas accompagné d’un texte. C’est aussi un dessinateur qui s’inscrit dans une temporalité contemporaine : dans ses choix de thèmes, dans les questions, les sentiments, que soulèvent ses oeuvres. Par exemple Jérome Zonder est un très bon dessinateur contemporain ! C’est peut-être aussi un titre un peu pompeux, mais moi j’aime ce mot « dessinateur ». C’est un peu comme « alchimiste », il y a une part de mystère.
Qui sont les artistes qui t’inspirent ?
Greg M : Zonder justement, est une inspiration et un maître très technique ! Mais il y en a mille, je suis un gros mangeur d’images. Je suis de la génération qui a vu Internet arriver à l’adolescence, et je me sers de tout ce que je vois. Parfois ma démarche de construction d’une image s’approche davantage du collage, je prends des petits bouts de choses qui me plaisent à droite, à gauche, et je fais ma cuisine à partir de tous ces éléments. Un peu comme un DJ qui travaille à partir de samples, enfin il n’y a rien de très novateur la-dedans, beaucoup travaillent comme ça aujourd’hui.
Donc pour donner quelques références inspirantes, je dirais, en vrac : Egon Schiele, Joël Peter Witkin, Ludovic Debeurme, Jean Bedez, Navette, Thomas Ott, Gwel, Blu, John casey, la revue Hey!, la revue Banzaï…
Il y a des figures de l’underground qui m’inspirent aussi, la Beat génération, Bukowski, Genesis P-Orridge, Jim Jarmusch, Lydia Lunch, Lester Bangs, Alain Pacadis…
Et puis en musique j’en parle pas, il faudrait refaire une interview spéciale pour ça ! Si allez, deux gros classiques: Joy Division et Lou Reed.
Le mot de la fin
Voici deux citations, qui se font écho :
« Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir. » Chagall