Il y a quatre ans, Yurina Niihara était devant l’objectif, comme présentatrice tv et modèle de publicité. Pas étonnant quand on voit le joli minois de cette japonaise de 28 ans. Arrivée à Paris suite aux évènements de Fukushima, elle est depuis passée derrière l’objectif. Ses photographies lui permettent d’exprimer ses monologues, ses sensations, ses sentiments et de nous raconter les histoires intérieures d’une japonaise à Paris.
« Quelle est ta spécialité, Yurina ? »
En 2011, lorsque la jeune tokyoïte arrive à Paris, elle décide d’apprendre la langue française. Lors d’un échange avec son professeur, il lui demande « Et toi, Yurina, que fais-tu dans la vie ? Quelle est ta spécialité ? ». C’est le début du premier monologue de la jeune femme. Elle explore alors différents modes d’expression en étudiant le cinéma et l’histoire de l’art. C’est un bon début « j’ai réalisé que j’aimais créer et raconter des choses ».
Comment se sentir utile ?
Spontanément, Yurina se met à la photographie et ne s’arrête plus. Elle a trouvé sa spécialité et répond à l’injonction de son professeur de français. « J’avais aussi envie de me sentir utile, dans le sens de participer à la vie économique. » Si le métier de photographe possède une dimension artistique, Yurina accepte pleinement la part plus « commerciale » en réalisant des shoots de mode et des reportages photo en plus de ses photo d’art. Elle participe également à des concours à but non lucratifs permettant de financer des projets associatifs comme le grand prix photo de Saint Tropez pour « la chaîne de l’espoir », pour lequel elle a d’ailleurs reçu un prix.
Des portraits intimes et bizarres
Sur le cliché, une femme « normale » (entendez, pas un mannequin) pose en sous-vêtements. « J’ai réalisé cette série de portraits car la lingerie exprime la véritable personnalité des femmes. Si vous portez un soutien-gorge confortable, ça ne raconte pas la même chose que si vous portez de la lingerie fine. Et puis, c’est aussi un tissu qui touche une partie du corps très intime. J’avais envie d’exprimer les différentes facettes de la sensualité ».
Sur cette thématique, elle réalise également un « portrait » d’elle, insolite et sensuel.
La part sombre de la mode
Dans les clichés intitulés « Dark Side » et publiés dans Institute Magazine, Yurina photographie des modèles de mode abîmés par le milieu. « Pour l’avoir fréquenté, je peux dire que c’est un univers et un métier très difficile, poser des heures devant un objectif. J’avais envie d’exprimer cette dureté du métier. »
La beauté de la douleur
La photographe parcourt le monde pour réaliser des photo-reportages en posant son regard sur les autres et leurs coutumes. Elle a ainsi assisté à la cérémonie du « Thaipoosam Cavadee » des Tamouls de l’Île Maurice. Durant cette longue fête, Tamouls se sacrifient notamment en transperçant leur langue d’une aiguille. « Cavadee, Cavadee ». Yurina a été saisie par la beauté du sacrifice : « être capable de souffrir autant par croyance, ça a quelque chose d’absolu et de très beau ».
Ah, l’amour !
Yurina est touchée par l’évolution de la conception du rapport amoureux à travers les différentes générations. « Mes grands-parents ne se sont pas aimés de la même manière que mes parents ni moi, ni la génération qui me suis. Mes parents échangeaient des lettres et les jeunes d’aujourd’hui se draguent par Tinder. Forcément, ça change tout. » Cette évolution l’a inspirée « et si un humain et un robot tombaient amoureux ? Ils pourraient être séparés par la mort de l’homme. Mais un robot, ça se casse aussi. Dans ce cas, l’homme ne serait-il pas triste ? Je pense que si. »
Pour sa prochaine série, Yurina travaille désormais sur la thématique du déracinement. « Lorsque je rentre au Japon, je me sens décalée, parfois un peu étrangère dans mon propre pays. Je regarde certaines scènes avec un œil externe et je me dis qu’on dirait un dessin animé ». Une sensibilité que nous avons hâte de continuer à parcourir.
Les inspirations de Yurina
Photo d’art : Sally Mann et Francesca Woodman. « Leurs monologues me parlent. Leurs photos sont un choc mais c’est beau. »
Photo de mode : Benjamin Vunk : « Il y a un belle balance entre le caractère des modèles et le caractère du photographe et le super travail de maquilleur et de coiffeur. »
Alexandre Mikhaïlovitch Rodtchenko « son regard est simplement génial« .